top of page

1931 : Une bataille géographique et pyrénéiste, la Garonne




L’eau est en montagne comme une jeune fille amoureuse. Elle est belle et, les yeux cristallins, elle court et vole dans les crètes et les vallées. Aussi insaisissable qu’un rayon de soleil, elle s’évapore lorsque l’on croit la prendre, et c’est à nouveau une course folle pour retrouver la trace de l’être adorable.


Ainsi en est-il de notre belle Garonne. Son histoire est celle d’une vie. De la fougue torrentielle de son jeune âge au calme de la Gironde, ses mouvements chantent la longue poésie de l’aventure d’une goutte d’eau fraiche et pure, contrainte de quitter les sommets, voyageant de ville en ville.


Pour les Espagnols, la jeune fille serait issue du Pla de Beret. C’est de là qu’elle naîtrait chaque matin et chaque nuit, à tout instant ! C’est d’ailleurs pour cela que dans les années 1930 ils projettent d’installer leur nouvelle usine hydroélectrique en aval du Trou du Toro (aussi appelé Forau de Aigualluts). Un homme doute de l’explication des Espagnols, ayant pour source plus de légendes que de sciences. Tous les ruisseaux s’appellent « Garona » de l’autre côté de la frontière ! S’ils se trompent, le débit du fleuve sera impacté et ce serait le drame en France. Un pyrénéiste ne peut se satisfaire d’explications mal documentées. Les légendes ont leurs limites. En aventurier, il doit voir, toucher, sentir. D’un bond, alors qu’il était confortablement installé, le saint-martorien Norbert Casteret passe sa veste et ajuste ses souliers. Il ne croit pas à ces thèses, il doit en avoir le cœur net.


A l’étude des bassins hydrographiques, l’explorateur a une hypothèse intéressante. Les eaux passant par le Trou du Toro communiquent avec le val d’Aran via le versant océanique du massif en empruntant une voie souterraine. Ainsi, la principale source de la Garonne viendrait des monts maudits, la Maladeta ! En Espagne, on se moque. A Luchon, on s’intéresse à l’aventure. Casteret est connu pour ses exploits spéléologiques. L’homme est sérieux, passionné, aventurier et bien accompagné.


Il lui faudra batailler pour obtenir des financements destinés à l’achat d’un puissant colorant fluorescent. Il parvient à convaincre l'Académie des sciences, l'Institut d'Hydrologie, la société du puits de Padirac, le Conseil général de Haute-Garonne et la Société de Géographie de France d’acheter 60kg de fluorescine. Le soir du 19 juillet 1931, il quitte Luchon en compagnie de son épouse Elisabeth et de leurs compagnons. Ils ascensionnent jusqu’au Trou du Toro et déversent le produit dans ses eaux impétueuses. Tout y passe, et le produit, et les barils ! Il ne faut rien perdre du précieux ingrédient. De bon matin, avant le lever du jour, ils reprennent la route pour rejoindre leurs postes d’observation. Elisabeth ne voit rien du côté du rio Esera, au sud. L’eau coule clair toute la journée. Pour Casteret, c’est l’extase ! L’œil de Jupiter coule vert ! Le Goueil de Jueou est coloré ! Il s’empresse de rejoindre les villages de Fos et de Saint-Béat pour leur faire signer des témoignages. Oui mes amis, la jeune fille appelée Garonne, coulant depuis des millénaires, nait sur le flanc septentrional du Néthou, l’Aneto, le toit des Pyrénées. 

Les travaux de Casteret seront couronnés de succès et le projet des Espagnols sera abandonné.


Ainsi mes amis, ne vous fiez pas aux guides touristiques indiquant le Pla de Beret comme source principale de la Garonne et regardez plus à l’ouest. Vous verrez l’Aneto, grand seigneur du tombeau de Pyrène, premier gardien de la source du fleuve.


Hugues, académicien.

Comentarios


bottom of page