Une douce lumière baigne le boulevard dans une tranquille atmosphère. Des enfants se courent après, frôlant la balustrade d'où surgit avec malice un funiculaire belle époque, épargnant aux palois la douloureuse ascension du quartier de la gare à la ville haute, où est perché le château qui vit les premiers jours du bon roi Henri. La jeunesse gasconne baptise autour de tablées festives quelque étranger venu goûter la beauté de la région dans les grands verres de Jurançon, dont la robe se déploie aux rayons délicieux d'une soirée estivale.
Sur les riches balcons des immeubles, les anciens jettent un œil attendri vers le sud, horizons méridionaux qui appellent toujours autant, dans cette partie de la France où les âmes s'épanchent, à mesure de leur proximité avec les phares de granit. Les gascons n'ont pas le pied marin : ce n'est qu'à la vue du port qu'ils se sentent chez eux. De cette digue merveilleuse émerge une figure paternelle devenue un des symboles de la ville de Pau. Les jours de beau temps, il convient de contempler l'émergence d'un géant à deux têtes, quittant sa vallée pour s'élancer, un peu bourru, vers le ciel, en figure protectrice de tous les béarnais.
Jean-Pierre, ou le Pic du midi d'Ossau, est une des montagnes culminantes de cette région, et interpelle par cette silhouette caractéristique les promeneurs endimanchés du boulevard des Pyrénées. Ce surnom affectueux ne résulte bien entendu pas d'un hasard, et votre serviteur ne peut s'empêcher de venir vous partager la raison toute scientifique de cette familiarité commune aux palois.
Jadis, quand les ours gouvernaient encore les montagnes et que les hommes étaient leurs hôtes respectueux, les maures vivaient au sud. Les expéditions de brigandage étaient monnaie courante et venaient semer la terreur dans le piémont, capturant troupeaux et biens, asservissant femmes et enfants. Ils repartaient riches de leurs vols et laissaient derrière eux de fumants décombres arrosés de larmes amères.
Deux bergers vivaient alors en vallée d'Ossau, faisant paître leurs brebis. Deux, frères, deux fauves, à la force immense et au pied léger. L'aîné s'appelait Jean, le cadet, Pierre. Leur cœur appartenait à leur terre, et une douleur noire les saisissait aux nouvelles des pillages qui dévastaient la région. Gardiens de leur troupeau, ils s'étaient établis sur les rives du lac de Bious Artigues. Le soir ils regardaient le ciel se parer d'innombrables diamants dans le reflet marine de ses eaux sombres.
Un matin, Pierre partit sur la montagne contempler les premiers dards de l'aurore. Ses yeux ne furent non pas éblouis par les roues rougeoyantes du char d'Apollon, mais par les reflets dorés de mille armures surmontées de bannières armées du croissant vert. Loin de réchauffer son cœur, la scène lui glaça le sang : l'armée maure s'apprêtait à franchir le col du Pourtalet pour pénétrer dans la vallée.
Appelant d'un sifflement strident son aîné, les deux bergers allèrent se dresser face à la horde belliqueuse. N'ayant crainte pour leur vie, leur rage alimentée par le souci de préserver leur troupeau, nos deux héros luttèrent toute la journée contre les champions enturbannés des armées sarrasines.
Les apercevant au loin, une sorcière d'un hardi sortilège, fit deux les éternels protecteurs de leur contrée. Une rage terrible métamorphosa ces deux colosses dans un grondement épais, animés d’un tendre amour envers leur vallée. En ce jour, le pays de Phoebus connut un tel ébranlement qu’aucune déformation géologique ne saurait rivaliser de puissance et beauté. Transformés en pics majestueux, Jean et Pierre se dressent désormais face au sud pour barrer le piémont contre l'ennemi, assurant aux béarnais une ombre réconfortante, devenue le symbole du retour des jours heureux en Gascogne.
De là provient la curieuse coutume béarnaise, d'appeler les premiers-nés Jean, et leurs cadets Pierre : les deux cimes du pic s'élevant vers les cieux, deux frères aux noms gravés dans la roche.
Connaître cette légende avant de se lancer à la conquête de la fratrie, c'est parer d'une douce étoffe de rêve le sommet qui fait face aux alpinistes décidés. Car le pyrénéiste, s'il ressent et contemple, doit pour cela ascensionner en vue d'écrire.
Le Pic du midi d'Ossau, avec ses 2884 mètres, fait bonne figure au tableau des alpinistes.
Partant depuis la vallée après avoir suivi la route en direction du Pourtalet, des chemins sinueux bordant le gave dévalent une pente écrasée par deux parois vertigineuses. Ce n'est qu'au détour d'un virage que s'ouvre tout à coup le paysage pour nous offrir l'allure tranquille de nos deux amis, qui tendent une main bienveillante à celui qui désire aller faire leur rencontre.
A pied, l'approche est lente et laborieuse : l’étage forestier nous protège un peu trop longtemps des éclats du soleil luisant avant de laisser éclore les estives où paissent les grands bœufs blancs du Béarn. Depuis le début de l’ascension, Jean-Pierre nous toise et semble nous encourager doucement à répondre à son guttural appel comme un immense écho.
L’ascension se fit par la face est. Pas de difficultés particulières, à noter qu’il est nécessaire d’emporter avec soi du matériel d’escalade : au minimum une corde, deux casques et baudriers afin d’équiper deux rappels pour la descente et au besoin, s’encorder lors de la montée. Au pied de la grimpe, la randonnée constitue environ 500 mètres de dénivelé positif. On ne saurait trop vous recommander, chers adhérents de partir au plus tôt comme il convient dans la recette pour préparer une montagne. Trois cheminées techniques dont il faut se méfier, deux pierriers et voilà que l’on débouche sur les cimes.
Prodigieux panorama que nous offrent Jean et Pierre comme un cadeau ! Depuis le sommet du géant minéral, vous voyagez de la Bigorre au Pays Basque, en rêvant sans doute un peu, l’on se figure les harassantes heures que Hercule passa à édifier l’édifice sur lequel se posent nos yeux. Pic du midi de Bigorre, Balaïtous, pic d’Anie.
La mer de nuage dresse le matelas immaculé de notre repos : nous ne verrons pas la ville du Vert Galant malheureusement, mais nous pouvons l’affirmer : même lorsque depuis la plaine, Jean-Pierre semble se vêtir d’une robe grise, il demeure. Le sommet nous partage un instant ce sublime paysage dont chaque jour il assure la protection. En contrebas, Pierre (correspondant au petit Pic du midi d’Ossau) garde les flancs de son frère : les deux bergers devenus géants sont désormais à jamais détenteur de la clef qui ouvre la vallée d’Ossau.
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