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Cher camarade adhérent,
Il est un instant d’éternité, où les mots naissant de l’esprit désabusé d’un jeune homme de notre temps, se rendent compte ensembles qu’ils pourraient bien mériter de prendre leur envol. Cette démocratie littéraire gazouille tendrement dans son nid, encore tout à l’abri des grands prédateurs qui sont sa crainte. Censure, presse, détracteurs et autres esprits citadins, endurcis par des années trop faciles, dans des corps trop flasques.
Notre petite société, fortifiée par quelques conjonctions de coordination, gagne des plumes. Elles ne sont pas bien nombreuses encore mais il ne suffit que d’une seule, après tout, pour permettre à des mots de prendre leur envol. Petit à petit, voilà que l’oisillon trouve des vers à se mettre sous la dent. Heureuse et spirituelle nourriture, quoi de mieux pour une pensée vagabonde que celle-ci ?
Après avoir pris la liberté de s’associer, les mots manquent d’un élément déclencheur pour leur permettre de se présenter encore tout chétifs au monde qui leur tend ses menaçants bras. C’est le point. « Signe de ponctuation servant à marquer la fin d’une phrase », il clôt d’un geste la grande parenthèse d’une pensée balbutiante. L’oiseau tombe du nid, emportant dans sa chute son ivresses d’écrire, laissant en haut ses doutes. La maison est derrière, le monde est devant.
Notre revue naissante est à l’image de notre oisillon. Observez bien, peut-être le voyez-vous à travers votre fenêtre. Oh, il ne chante pas bien fort, mais c’est qu’il est encore tout timide : on aurait tort de croire que le ridicule ne tue pas. Deviendra-t’il un tétras ?
Sans pousser plus avant la métaphore, vous touchez du doigt le style littéraire que notre rédaction souhaite insuffler à nos travaux présents et futurs. L’Académie Pyrénéenne des Belles Lettres, si elle est fondée autour des grands principes de culte de l’effort, se veut également avoir un volet littéraire de qualité. Séduits par le dandysme sans en adopter le cynisme ou la mollesse, la rédaction ne vise pas moins haut : la beauté de l’écriture inspirée par la beauté du paysage, car il est plus simple pour une pensée de s’envoler lorsque, à 3000 mètres d'altitude, elle touche quasiment le ciel.
La revue, que nous avons choisi d’appeler Le Grand Bavard, a pour but de permettre à tout adhérent de disposer d’un espace d’expression littéraire, ou artistique, car rien d’autre n’importe après tout. Bavarder de tout et de rien, en gardant à l’horizon les cimes de nos montagnes pyrénéennes tant chéries, et dont nous souhaitons en diffuser les richesses.
Ainsi, sportif, esthète, écrivain, conteur ou historien, chacun a sa place dans la petite aventure qui aujourd’hui commence, et dont le maître-mot de notre ambition est gratuité.
Le risque n’est même pas bien grand, en 2024, de vouloir se lancer dans une entreprise comme la notre. Le Grand Bavard est un flocon : il tombe, immaculé, sur la montagne, et s’il manquait, cela ne changerait que peu de choses. C’est en revanche un petit apport à la beauté du monde, et c’est lorsqu’il disparaît, que dans notre cœur surgit une indicible mélancolie.
Nous ne risquons en effet pas grand choses à publier une revue à une époque où plus personne ne lit, où les médias diminuent chaque jour davantage notre temps d’attention. A devenir aussi volatiles nous pourrions presque décoller, quand la grande volière qu’est la France est essentiellement peuplée de pigeons ou de vautours.
Quel original aussi, à parler d’une région périphérique après 300 années de tradition centralisatrice, et qui souffre aujourd’hui d’un délaissement vaillamment combattu par les élus locaux, petits Hercules du quotidien. Si le mythique bâtisseur de nos montagnes eut à lutter contre de nombreuses créatures issues du bestiaire antique, c’est aujourd’hui face aux administrateurs éthérés de la capitale ou encore au jacobinisme révolutionnaire, qui voit encore la glorification du pagus comme une atteinte au mécanisme froid et implacable du Léviathan hexagonal, contre lesquels nos défenseurs luttent.
Collaborer en fratrie (pas pour très longtemps, grâce à vous chers adhérents, pour sûr) à l’heure où la famille nucléaire a tendance à être atomisée. Une rédaction des plus fraternelles, sans aucun doute.
Autant de préceptes allant contre l’ère du temps, et c’est justement ce qui nous a séduit. Au risque de passer pour plagieur, adopter cet adage si employé désormais : c’est bien plus beau lorsque c’est inutile. Et que cela nous coûterait donc, un petit poème d’amour, pour les montagnes qui furent les gardiennes de notre enfance, une légende couchée sur le papier que l’on aurait entendue au coin du feu, dans le crépitement du sapin enflammé, un élan de l’esprit, qui délaissant la vallée voudrait aller toujours plus haut.
Ainsi, Vive Le Grand Bavard, et que ses discussions ne soient pas vains commerces, mais autant de tremplins nous propulsant vers les sommets, qu’ils soient topographiques ou littéraires. Que soient liés l’esthétisme de notre quête à l’authenticité de nos racines.
Le Trésorier
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