Me promenant dans les terres arides de mes souvenirs, je rencontrais une jeune fille plus attendrissante qu’un bourgeon du jour, le teint plus frais que la rosée perlée du matin. Son charme présent atteignait une perfection rarement égalée, si ce n’est sur telle sculpture ou portrait italien du Quattrocento.
Si le hasard d’une telle rencontre peut se questionner, j’en suis arrivé à un âge où souvenirs et rêveries s’embrassent gentiment. Fort de mon audace, je m’arrachais quelques mots sortis de mon admiration évidente envers cette beauté innocente.
« Que fais-tu ? lui demandais-je, comme on demande à un mirage de satisfaire nos illusions.
Chose étonnante, cet amour me répondit.
- Je pars à la montagne, là où les hommes couronnent de leurs rêves les sommets cents fois légendaires. »
Je la regardais, mignonne dans sa jeunesse et me demandais comment un bout de femme pouvait bien partir seule munie d’une dentelle bleue et d’un voile blanc sur la tête.
« Tu veux venir ? Me souffla-t-elle. Je te montrerai la souffrance de mes pères et le labeur de nos fils. Chez moi, tout semble plus long. Le temps arrête son cours et ralentit sa chaîne. Le métronome est le même depuis longtemps. C’est très rare d’en changer. Je ne sais si je voudrais d’ailleurs. Enfin, reprit-elle, ces questions ne vous intéressent pas dans la vallée. Vos croyances semblent aussi temporelles et pérennes qu’une feuille de chêne quand point la saison automnale. »
Plus nous montions, plus les montagnes se faisaient hautes et les vallées larges. La jeune fille tout juste sortie de l’enfance grandissait à chaque pas, accompagnée d’une beauté qui sans cesse s’affirmait. Mon rôle de grand frère s’était métamorphosé en amoureux ayant conscience de l’absurdité d’un tel engouement.
Un temps plus tard, nous étions dans les derniers mètres de l’ascension. Cette étrange femme m’avait promis de m’emmener chez elle pour me dévoiler la richesse de son monde intérieur, comme elle disait si bien de sa voix cristalline.
Les quelques isard espions de ces scènes, saluaient du chef leur blond monarque puis s’envolaient à flanc de montagne dans une cavalcade effrénée. Ces bêtes bienvenues semblaient donner le bal pour mon plaisir égoïste. Je ne perdis rien de leur démonstration.
Arrivés au sommet, mon regard se perdit dans les méandres des résurgences géologiques, des lits de rivières et des vertes estives. Je ne pus jamais croire qu’un tel endroit existât dans ma retraite en aval où marche rime avec corvée.
« Quel paysage somptueux, murmurais-je.
- Oui somptueux. » reprit la voix qui maintenant s’élevait dans les cieux.
En effet, la femme n’était plus là. J’acceptais cette solitude avec bonheur, ayant toujours préféré la Bohème à une vie sociale mouvementée donc stérile. Cependant, il subsistait un souffle dans mon esprit et les vents violents des crêtes laissaient parfois passer un cri d’amour, un appel brûlant à embrasser ces contrées, à relater mes impressions, à avertir des passions.
Je restais seul, l’immensité des paysages comme seul compagnon, le bruit du silence comme seul distraction.
Ce jour-là, ma vocation fut fixée. Je serai artiste-vagabond, poursuivant dans mes poèmes une femme, sans réellement savoir si je souhaitais la trouver.
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