Il est une chance peu connue de nos camarades d’outre-Loire, due en partie à un éloignement géographique certain, avec une terre chaleureuse et hospitalière, pour qui peut bénéficier d’une clef pour y entrer. C’est d’avoir un ami basque. Ce qui est heureux, c’est qu’un basque est de mes amis. Authentique me direz-vous, je vous répondrai bénéfique, car ce basque partage le goût pour les sorties en altitude qu’avait notre illustre ancien Beraldi, et dont il s’inscrit parfaitement dans la philosophie.
Pyrénéiste authentique, il s’inscrit dans la plus pure tradition des sportifs dandys du XIXe siècle, dont nous nous réclamons. Ayant grandi couvés par de belles villes de province, aux yeux de gaz tournés vers les pointes enneigées du sud, nous partageons le souhait de rencontrer les fameux sommets du plus grand mausolée au monde.
L’expérience pyrénéenne (que l’on préfèrera au terme « alpine » ici, qui est complètement différent, ne serait-ce que géographiquement), que nous avons ensemble accumulée au cours des années, est régulièrement enrichie par de nouvelles courses, dialogues avec les nuages et la roche, entrevue avec Apollon qui nous pique cruellement de ses dards pour avoir osé vouloir lui parler.
Avec Basque, c’est cette fois de « l’alpinisme » de voltige dont nous avons fait l’expérience en vallée d’Ossau.Quelques jours auparavant, la préparation de cette sortie battait son plein. Votre serviteur, comme à son habitude, parfois un peu légère, s’imaginait davantage tutoyer les aigles dans un frais bain d’azur, que préparer avec sérieux une course périlleuse. Notre second protagoniste regorge, heureusement, pour l’auteur, d’un admirable bon sens et n’est pas en reste de proposer diverses expéditions réalisables, en une saison automnale, ayant de la peine à laisser partir sa resplendissante sœur aînée. Au fil des prospections, un nom émerge des brumes de son vagabondage. Dressé en un pic saillant, l’esprit peut désormais tendre ses projections vers ce qui, d’un songe, devient un but.
La crète du Pène Sarrière ne doit pas sa réputation à son altitude, mais à son aspect aérien et esthétique, qui peut laisser songeur au moment des préparatifs.Le programme est simple : approche au départ de Gourette, à l’est de la vallée d’Ossau. Contournement par le sud jusqu’au franchissement du col permettant d’aborder la crète par le sud-ouest. 8 longueurs pour enfin accéder au Pène, à 1944 mètres.
La préparation matérielle se fit la veille. Le ciel nuageux qui habille souvent la Bigorre d’un vaporeux drap nous recouvre, au moment de se remémorer les gestes que demain nous appliqueront. La brume extérieure semble s’immiscer dans nos esprits, encore distraits d’une fin de semaine à baptiser les amitiés, par de larges tournées aux reflets d’ambre. Nœuds, manipulations de cordes, triangulation sur les relais, rappels…les musiciens répètent leurs gammes, avant de jouer la belle partition, gravée en notes minérales sur la roche. Reste à savoir si nous saurons correctement interpréter la mélodie proposée sans fausses notes, et jusqu’au bout. Une corde semi-statique de 70 mètres, deux baudriers avec descendeurs, des longes, des mousquetons, des ficelles pour la confection des nœuds machards, indispensables pour descendre en rappel auto-assuré… Nous passons en revue le matériel et vérifions que rien ne manque, de peur d’être confrontés en haut à des préoccupations, qui auraient pu facilement être évitées.
Pour aborder la paroi à une heure convenable, il fallut bien prévoir de larges délais, dus à un temps de route nécessairement important, au vu de notre départ depuis la ville de la Sède. Passant par Lourdes, nous abordons les routes du pays Toy en vieux amis, elles qui étreignent si étonnement les courbes parfois suaves des hauteurs. Chaque virage nous dévoile pudiquement une dame de pierre qui elle aussi peine à se réveiller, encore toute engourdie dans le matin rose, qui finira de l’habiller convenablement. Nous passons, faisant semblant de ne rien voir, de peur d’indisposer bien indélicatement ces vieilles connaissances. La route est magnifique, évolue vers les cimes, et nous fait pénétrer au cœur de la montagne, dans un tunnel que l’on eût pu croire percé la veille, par de vigoureux pyrénéens au début du siècle dernier.
En sortant de la route d’Arrens-Marsous, nous parvenons en vue du col de Soulor, qui semble regretter ses années de jeunesse à accueillir sportifs et flâneurs en villégiature, aux journaux pleins d’images d’Amérique et des premiers dirigeables. C’est de ce point qu’en contrebas apparaît Gourette, notre bas de départ. Petite station de deuxième génération, elles se niche dans son val, emmitouflée d’un écrin de verdure, que les montagnards ne pleurent guère au moment de la saison de l’ouverture des pistes. Ces autoroutes du loisir fendent la montagne en veines qui l’hiver drainent une population en quête de vitesse.
Une fois la voiture garée, nous entamons l’expédition. Nous eûmes initialement peur d’avoir de la neige sur notre course, qui l’aurait rendue impossible matériellement parlant. Peur de courte durée. Le temps est doux. Un radieux soleil annoncé par un ciel sans voile, peine à faire éclater son rire chaleureux, ce qui nous permet de grimper à l’ombre des sommets à l’est de la vallée. L’approche est rude, et si en passant par l’est de la crète, on peut voir le bas d’une voie d’escalade cotée 5B, qui culmine sur l’itinéraire de notre course future, nous avons à jouer les bouquetins en prenant des risques parfois inutiles. Sans encombre, mais au prix d’efforts coûteux.
Si parfois, grimper sans trace peut laisser une impression de liberté, et une joie de fouler une apparente terra incognita, nous ne retenons guère dans notre cas que la sueur répandue sur le granit. En remontant le Valentin par l’ouest, nous atteignons le col qui nous confronte aux pistes de la station, quittée quelques heures plus tôt. Notre précédent détour a fait qu’une cordée est déjà en train de se lancer sur la crète qui nous attend, et nous défie.
Effarante crète, qui se découpe dans le fond bleu du ciel, dresse ses rasoirs effilés contre la face d’Apollon en une carnassière menace. Au plus mince, l’arête fait une quinzaine de centimètres de large, offrant au pas incertain une chute assurée de plusieurs centaines de mètres en contrebas. Les premières longueurs sont réputées pour être les plus impressionnantes. A cet instant, le pragmatique basque résume d’un terme léger et bien senti notre initial mouvement de recul, avant de sortir l’équipement nécessaire.
Avis aux novices, pas de seconde main pour le matériel d’escalade, nous ne saurions que trop déconseiller de confier votre sécurité à des outils dont vous ne seriez pas sûrs de la fiabilité. C’est un souci dont on n’a pas envie de s’encombrer en hauteur, car sans confiance dans vos assurances, c’est une immense difficulté qui émerge et qui risque au pire de vous tétaniser, au pire de vous tuer.
Au loin, au bout des longueurs, le Pène Sarrière nous fait face quelques centaines de mètres plus loin. Notre cordée se lance donc sur la première longueur de la face sud. Sans être bien difficile, elle est néanmoins très aérienne, et là où les plus expérimentés osent marcher debout sur la crète, notre équipe progresse d’une manière mesurée sur la roche, cernés par le vide. Il faut avancer. A chaque relais, la même procédure de changement d’assurance, de lovage de la corde, de contrôle mutuel.
Ce qu’il faut bien retenir, c’est que le début de la crète est magnifique, et cette beauté est intrinsèquement liée à son altitude relative, qui lui procure sa saveur. Un long couteau dont la tranche fait face aux nuages. Autour de nous, la montagne. On ne voit que le ciel, on ne sent que le soleil sur les monts tous puissants. Le vent nous psalmodie les airs de la terrible chanson. A l’ouest, le minéral et frais val que nous avons précédemment quitté. Au sud, la ligne de crète qui perd en altitude sur 400 mètres avant de repartir en jet vers la chaîne axiale du massif, dominée par un soleil de plomb, agressif depuis notre débouché. A l’ouest, les pistes de Gourette qui saignent la montagne, où en contrebas des ouvriers s’activent sur les remontées comme autant d’anticorps protégeant leur organisme. Au nord, enfin, le Pène Sarrière. Nous le voyons bien distinctement après avoir débouché de la 4e longueur, flegmatique, et suffisamment bien protégé par ses épines pour craindre de voir un jour flétrir sa couronne végétale.
Derrière nous un père accompagne ses deux enfants, pour leur première sortie d’escalade. Deux jeunes isards bondissants sur les rochers, le plus jeune doit à peine avoir 10 ans. Pour eux, l’heure est encore au jeu, et non au défi : à chaque âge sa raison de s’éprouver. Que cela sera-t-il quand nos jeunes isards auront leurs cornes ! Les voies les plus fameuses des Pyrénées auront tout à craindre de cette race élevée dans la montagne.
Je discute avec le père, qui m’apprend qu’ils vivent à Aas, juste en contrebas. Il faut essayer de se représenter la vie de ces jeunes gens, à l’opposé même de tout ce avec quoi l’enfance est aujourd’hui abreuvée. Grand air, altitude et enclavement, solitude parfois, mais simplicité des rapports humains, de la vie. Béni soient-ils, ceux que la montagne a gardé dans son écrin, ces pierres précieuses brutes, n’ayant pas encore eu à se diluer avec les congénères de la ville, préférant l’eau claire et glacée de leurs ruisseaux aux effluves criardes et vaines des terrasses de la plaine, et de tous ceux qu’an preferat la vila. Le rôle du père, sa protection face aux dangers extérieurs, est sublimement accompli par cet homme avenant, à la peau éprouvée par les efforts qui sont son métier. En leur offrant cette jeunesse, la corrosion de l’âme dont nous souffrons tous et qui, sans doute, est le plus grand mal de notre temps, affectera sans doute ces enfants, ces hils de la montanha, mais plus tard. Jamais, peut-être ?
Que n’emmenons-nous pas davantage, amis pyrénéistes, nos frères, sœurs, cousins ou amis, rencontrer ensemble les pics insurmontables qui de la plaine semblent loin, si loin… Magnifique école de la vie que l’altitude, sportive et humaine. Elle a tout à nous apporter, quand bien même certains ne s’y tournent seulement qu’à la saison des neiges, pour dévaler les pentes des stations de prestige. Laissons-les alimenter le circuit commercial des vacanciers qui, et c’est la différence avec les Alpes, n’a pas encore aseptisé le long massif.
Longueur après longueur, nous parvenons finalement au sommet, après quelques passages techniques en escalade. Moins impressionnant, peut-être, mais qui nous mettent au défi : la difficulté évolue sur l’ensemble de la course.
Il commence à être l’heure de déjeuner, nous cassons ensemble la croûte, récompensés d’avoir joué jusqu’au bout l’exigeante partition imposée par le Pène, compositeur impressionnant, certes, mais avec lequel on est ravi d’avoir eu affaire. C’est une course magnifique, réalisable par toute personne n’étant pas technique en escalade. Nos lecteurs ayant une grande peur du vide auraient sans doute plus de difficultés néanmoins, aussi nous vous conseillons d’avancer pas à pas avant de vous lancer dans cette course. Il est nécessaire en revanche d’avoir de solides notions d’alpinisme, pour parvenir au sommet en sécurité.
La redescente nord se fait par un petit sentier, difficile à suivre et souvent sinuant dans les glissantes bruyères. Difficile à négocier, il est certainement impraticable après une pluie. Nous choisissons de mettre en place un rappel pour parvenir plus rapidement à Gourette. En retournant en contrebas, nous concluons les 7 heures de sortie effectuées et dont nous garderons une image tenace et chèrement acquise au prix de nos peurs. La vue est l’une des récompenses avec lesquelles nous redescendrons dans la vallée. Une parmi d’autres : des rencontres, des souvenirs, de la difficulté dont nous avons triomphé. Pour le pyrénéiste, chaque effort a pour réponse une récompense où chacun trouve un sens caché, dans ce grand dialogue qu’il entretient avec la montagne. Pour cela, on ne reste pas pyrénéiste, il s’agit d’une qualité éphémère, et chaque sortie le remet en jeu, ou plutôt le remet à neuf, pièce de valeur que la poussière de la facilité ternit avec le temps.
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